La maison que nous habitions dans le Nord de la France avait 12 ares de terrain : un beau parterre devant, une confortable allée de gravillons sur le côté et 8 ares de potager.
La terre était très noire, grasse, riche et donnait de superbes légumes.
Ce potager était bordé d'un large fossé bordé de saules dans lequel les goujons nageaient dans l'eau claire. Il n'était pas rare que, de la fenêtre de la cuisine, j'aperçoive un gros raton laveur foncer vers le carré de carottes, en déterrer une avec des gestes de pattes précis et l'emporter dans l'eau du fossé pour la laver avant de la manger !
Fille de la campagne, les travaux du jardin je connaissais. L'Hom avait préparé le terrain, semé ou planté et moi, j'avais tout naturellement pris l'habitude de surveiller les plates bandes, arrachant la mauvaise herbe et aérant la terre avec une griffe. Ces moments passés là me délassaient, me changeaient des corrections / préparations et du ménage. Je n'étais pas accroc à la télé et puisque l'Hom était souvent au loin pour 48h cet excercice me passait agréablement le temps.
C'est lorsqu'un jour l'Hom me signala que j'avais choqué sa mère pour avoir cueilli des haricots verts qui n'avaient pas eu le temps de grossir...que je suis devenue vigilante !
Il était évident que Lucette profitait que j'étais en classe pour venir récolter ! Et pour elle, les légumes ne se cueillaient qu'au terme de leur mâturité . Les cueillir fins, c'était du gâchis ! Désolée, mais moi c'est ainsi que je les aime !
Un soir , je rentre de l'école et vais jusqu'au carré de carottes pour prendre de quoi faire le potage du soir.Surprise : le carré est vide. A ce moment je vois arriver Lucette à la porte du sous-sol. Avec un large sourire elle m'annonce que pour m'avancer elle était venue récolter les carottes. Surprise , je n'ose pas laisser éclater ma joie... Je la remercie toutefois en lui demandant où était la récolte. Elle me désigne la grande panière au fond de la salle qui servait de cave . Mais comme je me dirige vers la grosse lessiveuse elle m'arrête net : " Vous ne touchez pas à ça, c'est pour mes filles. J'ai fait la récolte, j'en fais ce que je veux " . Comme d'habitude je ne réponds pas et attends qu'elle parte . Je soulève le couvercle de la lessiveuse interdite : de belles carottes droites et lisses la remplissent jusqu'en haut. Je vais jusqu'à ma panière : rien que des carottes difformes dont les racines multiples retiennent la terre. Le genre de truc où tu passes un temps fou à nettoyer, séparer pour enfin pouvoir éplucher !
Dire que j'ai été surprise, même pas. Mais j'ai eu beaucoup de mal à accepter que je nettoie le terrain et surveille les plantes pour me voir attribuer les rebuts. Sans compter que les filles étaient toute la journée chez elles alors que moi, c'était toujours la course contre la montre quand je rentrais si je voulais que les enfants mangent des produits frais pour compenser la cantine du midi. Je ne me voyais pas passer une heure à nettoyer les carottes! comme toujours je n'ai rien dit, j'ai agi !
C'est un soir alors que pour une fois l'Hom était à la maison que je vis arriver Lucette alors que je préparais la soupe. Je l'ai vue ouvrir de grands yeux lorsque j'ai sorti mon paquet de carottes du bac du réfrigérateur....et la réflexion acerbe est venue dans la foulée. Tout en continuant à préparer mon repas je lui ai répondu que contrairement à ses filles, mon temps de travail était limité et que donc je me servais chez Intermarché qui avait lui la bonne idée de me donner des carottes propres et faciles à nettoyer ! Elle en est resté bouche bée et j'en ai profité pour enfoncer le clou : " Vous savez bien que j'ai les moyens de me le permettre grâce à mon travail "!