Le retour à Hergnies fut glacial . Lorsque Paulette , toute heureuse annonça à Yvonne qu’elle passait en première , elle s’entendit répondre « Il n’aurait pas
fallu le contraire et tu le savais ! » Et la vie reprit , discipline de fer et silence . Le lever avait lieu à six heures trente , Paulette n’avait toujours pas l’autorisation de
participer à la vie de la maison , ni nettoyage ( « tu ne veux tout de même pas me voler ma place ? Le chef ici c’est moi ! » ) ni cuisine pour les mêmes raisons . Paulette
avait retrouvé sa place sur la chaise désignée où elle devait se tenir bien droite sans mettre les pieds sur les barreaux : elle avait 18 ans ! Un après midi , la cousine Siona , l’une des
fillettes qui avait tant vexé Yvonne dans son enfance, quand elle était ballottée entre les sœurs de Mathilde , vint rendre visite accompagnée de Gilbert son mari . Siona était une superbe dame
de l’âge de Yvonne mais qui faisait dix ans de moins . Habillée avec élégance elle parlait avec assurance . C’était une dame de la ville , elle habitait Chauny-les-singes dans une caserne de
gardes mobiles . Yvonne avait été longtemps sans la voir car le métier de Gilbert les avait amenés à séjourner très loin de la métropole et Paulette se délectait de les entendre évoquer la vie en
Polynésie . Au moment de prendre congé Siona n’y tint plus et dit à Yvonne : « Mais enfin , tu ne te rends pas compte , tu élèves ta fille exactement comme si c’était un chien , ton
rôle de mère est de la conseiller , pas de la dresser ! » . Dès qu’elle fut sortie , Siona ne fut plus la grande dame qui inspirait le respect , elle fut gratifiée de tous les noms
d’oiseaux et son " éloge" se termina par un catégorique : « Non mais , de quoi elle se mêle ? » . Paulette de son côté rêvait de la Polynésie, assise bien droite sur sa
chaise.