Bientôt un mois que Paulette vivait un rêve éveillé . Mais ce matin , une agitation inhabituelle régnait dans le domaine . Gerda nettoyait et rangeait …et dans les chambres , des valises firent leur apparition . Les enfants expliquèrent à Paulette que leur père ne pouvait pas laisser plus longtemps la clinique aux mains de son second et qu’il ne voulait pas non plus être privé de leur présence donc ils repartaient pour la ville en espérant revenir quelquefois en week-end . Le cœur de Paulette se serra et le lendemain ce fut avec des larmes dans les yeux qu’elle vit s’éloigner la longue voiture noire qui emmenait ses amis , aussi tristes qu’elle …et Robinson ! A pas lents elle traversa le chemin qui menait chez elle , entra dans la vaste pièce à vivre . Yvonne s’y trouvait et bien qu’elles ne se soient pas vues depuis presque quatre semaines , elle ne dit pas un mot , montrant d’un geste théâtral la chaise où Paulette était de nouveau condamnée à rester droite , sans bouger .
Victor semblait avoir compris la détresse muette de Paulette . Un dimanche matin , au cours du petit déjeuner matinal , il se tourna vers Yvonne , osant déroger à la règle en vigueur qui était : « On ne parle pas en mangeant ! »
_ « Ecoute , dit-il à Yvonne , ma jeune sœur vient d’avoir son troisième enfant et j’aimerais bien aller la voir . Qu’en penses-tu ?
_ ……..
_ Tu vois de temps à autre ton demi frère Francis et je trouve cela tout à fait normal . Pourquoi ne pas aller voir ma sœur ?
_ Mais elle habite trop loin !
_ Elle habite à trente kilomètres . Je ne te l’ai jamais demandé auparavant car avec Paulette c’était risqué mais à présent elle roule très bien en vélo et elle est devenue suffisamment résistante , je ne vois pas où est le problème .
_ Si tu y tiens , je veux bien faire un essai , mais si quelque chose ne va pas tu seras responsable !
_ Mais oui , bien sûr ! » soupira Victor .
Et un matin très tôt ils se mirent en route . Yvonne était toujours contrariée par la longueur de la route . … et surtout parce qu’elle allait peut-être croiser une automobile ! Ces voitures sans cheval qui passaient à vive allure dans un bruit d’enfer la terrifiaient . Et certains gros propriétaires terriens commençaient à en posséder . Ce qui devait arriver arriva . On entendit au loin une pétarade qui allait en s’amplifiant . Yvonne voulait descendre de bicyclette , Victor lui conjurait de garder sa droite tout en continuant à pédaler … Mais bientôt Yvonne s’immobilisa , un pied de chaque côté du vélo en hurlant qu’elle était en panne et que son vélo refusait d’avancer . Victor s’assura que Paulette , descendue elle aussi , était bien rangée le long du trottoir et se dirigea vers Yvonne . Il ne mit pas longtemps à comprendre ce qui s’était passé : prise de frayeur , Yvonne avait violemment serré les deux freins , d’où l’immobilité du vélo . Il lui fallut un moment pour décrisper Yvonne , après lui avoir parlé doucement et lui avoir fait constater qu’il n’y avait plus de voiture en vue ils purent reprendre la route , l’oreille aux aguets cependant....