Mon enfance s'est passée dans le Nord, le valenciennois : région minière:
Victor , mon père, partait maintenant travailler à la mine dès la tombée de la nuit et ne rentrait qu’au petit matin pour aller se coucher jusqu’au déjeuner . A la mine aussi il y avait eu des bouleversements . Les Houillères avaient fait venir du Maroc des ouvriers car le charbon était encore abondant mais la main d’œuvre française commençait à manquer. Lors de la réunion d’information , l’ingénieur avait été clair : « La direction veut du rendement , vous m’entendez ? le ren-de-ment et rien d’autre » L’ingénieur appréciait beaucoup Victor et était devenu son ami . Il l’appela pour lui annoncer qu’il l’avait choisi pour diriger un groupe de quinze émigrés . « Je connais tes compétences , je sais que tu sauras les diriger et que tout se passera bien . Voici le projet proposé par la direction , étudie-le » Le lendemain , Victor prit la tête de son petit groupe et commença à leur expliquer en quoi allait consister leur travail . Le soir , il repassa au bureau de l’ingénieur pour lui signaler qu’il fallait un temps d’adaptation et que ces garçons , malgré leur bonne volonté, ne pouvaient pas être opérationnels de suite. Son ami lui donna une semaine , pas plus : ordre de la Direction ! . Une semaine plus tard , tout heureux Victor vint au rapport : les marocains fournissaient un travail tout à fait convenable et le rythme obtenu était honorable . Malheureusement , les autorités n’étaient pas du tout , mais alors pas du tout de cet avis , il fallait doubler la cadence ! « Impossible , répondit Victor , et tu le sais bien ! » L’ingénieur regarda tristement Victor et lui dit : « Nous le savons , mais le directeur est formel , il veut une cadence infernale et te donne les moyens de l’obtenir . » Et sous le regard horrifié de Victor il brandit …un FOUET ! Livide , Victor partit sans dire un mot . Après une nuit blanche passée à réfléchir , sa décision était prise . Au moment de partir , il embrassa Yvonne et lui dit qu’à son retour bien des choses seraient changées . En arrivant à la mine , il ne se rendit pas près de la cage où devaient l’attendre ses quinze ouvriers marocains pour descendre dans les entrailles de la terre . Il se rendit au bureau de l’ingénieur , fort surpris de le voir à cette heure . En silence Victor brisa d’un coup sec le manche du fouet sur son genou et le posa sur le bureau . Puis il sortit sa carte de chef porion , la déchira et posa les morceaux près des restes du fouet . Il attendit …
_ « Mais enfin , rugit l’ingénieur , peux-tu me dire à quoi rime tout ce cirque ?
_ Je pense que c’est clair , je refuse le jeu de la direction . Il n’est pas question pour moi d’utiliser un fouet pour inciter des hommes à travailler . D’ailleurs je ne peux leur demander de faire que ce que moi je serais capable de faire . J’ai accepté d’être un meneur d’hommes mais jamais je ne traiterai des humains comme du bétail !
Je préfère donc renoncer à mon poste de chef porion …et ma décision est irrévocable . A la place , je sollicite un poste de boutefeu , je sais qu’il y en a un de vacant .
Voilà, vous connaissez mon père ! Son frère aîné se précipita pour réclamer un fouet et mit du coaur à l'ouvrage..;vous venez sans doute aussi de comprendre pourquoi nous n'avons plus jamais fréquenté la maison de mon oncle !
photo du net : boutefeu préparant ses explosifs.