Le monde de la presse aime rassembler tous ceux qui contribuent à la bonne marche de la maison ! C'est ainsi que furent présentées à Paulette les nombreuses invitations qui lui parvenaient. fréquemment. Elle apprit à distinguer celles qui émanaient des dépositaires de presse et autres libraires de celles proposées par la direction du journal. Pour ce qui est des commerçants cela correspondait soit à une pendaison de crémaillère, un anniversaire de création ou encore pour marquer la fin d'importants travaux d'aménagements. Les cocktails proposés avaient souvent lieu après la fermeture du magasin et il lui était donc difficile d'y échapper. Pas de grands frais de toilette: une tenue de ville correcte était la bienvenue. Elle prit vite l'habitude de passer entre les groupes un verre à la main ( toujours le même, héhé ! ) glissant un petit mot souriant avant de vite passer aux suivants. Les premières fois, elle avait décidé de rester dans un coin bien tranquille...c'est là qu'elle devenait le point de mire et le sujet de curiosité ! De plus elle commençait à connaître les têtes et généralement cela se passait le mieux du monde. Dès que le feu des conversations retombait, elle reposait son verre encore plein et prenait congé. Comme elle y venait après le travail, elle avait sa petite voiture et pouvait donc repartir au bout d'une heure environ, laissant André à des fonds de verre qui s'éternisaient .
Pour les cocktails de la maison-mère, la Voix du Nord pour ne pas la nommer :) le scénario était tout autre. S'il s'agissait de la clôture d'une quinzaine commerciale ou de la présentation de la grande tournée d'été de leur caravane publicitaire, cela se passait souvent lorsque Paulette était en classe et elle avait donc un alibi ! Mais quand il s'agissait de réceptions pour le départ à la retraite d'un dépositaire de presse important, Paulette ne pouvait se dérober car cela avait lieu le samedi soir ou le dimanche midi . Là, les frais de toilette étaient obligatoires. A cette époque Paulette pouvait se permettre les fourreaux avantageux : elle en possédait deux, un noir et un blanc en lamé. Son arrivée provoquait les regards chargés de jalousie des unes et les regards appuyés des autres pendant que André se pavanait à ses côtés, tout content de l'effet produit par les 46kg étincelants de sa moitié ! A deux reprises Paulette eut à subir les compliments pressants d'un monsieur distingué mais prématurément chauve , ce qui n'était pas du tout la mode à cette époque. Poliment mais fermement Paulette s'appliqua à le tenir éloigné. Au retour André la sermonna , il s'agissait du Grand patron du service Vente..et André lui laissa entendre que ce serait bien pour lui qu'elle se dévoue pour qu'il ait de l'avancement. Se méfiant des réactions violentes de sa moitié elle ne dit mot mais n'en pensa pas moins !
André revint un jour très excité : le barbecue géant au bord du lac que possédait la Voix du Nord dans la Somme aurait lieu bientôt et nous étions invités...sur les conseils du "chauve" ! Pour une garden-party pas de toilette du soir ! Elle choisit donc une petite robe fraîche et champêtre qu'elle adorait . Arrivée sur place ce fut la taille du domaine qui la surprit. Le lac était de belle taille puisqu'on n'en apercevait pas l'autre rive. Les vastes étendues herbeuses avaient reçu des bancs, des tables, des chaises donc de quoi satisfaire la foule présente. Il y avait là le monde de la vente mais aussi la rédaction , les journalistes et photographes. Paulette avait aussi remarqué plusieurs cabanons réservés officiellement aux chasseurs. Très occupée à éviter de se retrouver face au "chauve" Paulette ne s'est pas méfiée lorsqu'un superbe jeune monsieur se présenta devant elle . Il était svelte, beau comme un dieu , un jeune premier de cinéma ! Il engagea la conversation très naturellement et avec une aisance innée.... quand Paulette réalisa qu'il cherchait à accrocher son regard avec plus d'insistance que le veut la décence. Feignant chercher son époux des yeux elle détourna la tête et il en profita pour lui saisir la main ! " Venez, le petit cabanon est libre, nous y serons bien" ! Courroucée, elle le toisa, retira sa main d'un geste sec et partit d'un pas décidé vers le parking. André la rattrapa de justesse avant qu'elle y parvienne. Ils dégustèrent le succulent agneau grillé en plein air mais Paulette surveillait surtout ceux qui s'approchaient. Bizarrement , le repas terminé, André fut d'accord pour rentrer de suite. Paulette comprit lorsque dans la voiture il hurla sa déconvenue. Il avait assisté à toute la scène et elle venait de piétiner tous ses espoirs : le jeune premier était le super grand patron, celui qui dirigeait tous les services ...en gros La Voix du nord c'était lui !
La décision de Paulette était prise : elle n'irait plus à aucun cocktail mondain du journal et...allait prendre toutes les dispositions pour une procédure de divorce !