Cela se passait alors que Paulette enseignait encore à Hergnies. Dans sa classe de CE2 une petite Fatima forçait son admiration. Seule fille d'une grande fratrie - impossible de savoir combien elle avait de frères - elle arrivait du fin fond de la campagne, toujours à pied par tous les temps et ne se plaignait jamais. Elle participait avec un large sourire à toutes les activités de la classe et obtenait de très bons résultats. Cette année là l'hiver fut particulièrement rude et Fatima commença à tousser de plus en plus fort et de plus en plus souvent jusqu'à ce qu'un jour elle ne vint pas. Parmi ses petites camarades personne n'avait de ses nouvelles. Dans l'école voisine, ses frères répondaient invariablement " nous, on sait pas !" Comme Fatima ne revenait pas, Paulette déclara un jour à ses collègues qu'elle allait se rendre au domicile des parents pour prendre de ses nouvelles en prenant comme prétexte de lui apporter des devoirs pour qu'elle ne perde pas . Aussitôt toutes essayèrent de l'en dissuader. La mère de Fatima était native du village mais vivait avec un emmigré dont les gens ne disaient pas le plus grand bien . Tant pis , Paulette irait quand même.
Après les cours elle enfourcha sa bicyclette et roula vers les petits chemins de terre qui menaient jusqu'à la modeste demeure . Sitôt arrivée, elle posa son vélo et frappa à la porte de bois. Une voix tonitruante hurla ' " qui c'est ? " et elle n'a pas osé dire que c'était le plombier...d'une toute petite voix elle a annoncé " l'institutrice de votre fille ". La porte s'ouvrit à toute volée et un géant s'encadra dans la porte . Là, Paulette se fit mentalement la réflexion du petit Gibus : "Si j'aurais su , j'aurais pas venu "! Pendant ce temps le géant avait vérifié que c'était bien l'instit . Il se saisit d'un fouet posé près de l'entrée et commença à le faire claquer sèchement à trois reprises. Paulette n'en menait pas large ! Le géant hurla : " tous à vos places" avant de refaire claquer le fouet ...puis il se tourna vers Paulette pour l'inviter le plus courtoisement du monde à la faire entrer. Paulette pénétra, tout en se maudissant, dans une petite pièce mal éclairée . Le sol était encore en terre battue. Au fur et à mesure que ses yeux s'habituaient à l'obscurité ambiante Paulette découvrit héberluée environ six garçons accroupis sous la table ronde qui occupait le centre de la pièce. Et dans le fond, toute effacée , la mère de Fatima. Très vite Paulette exposa le but de sa visite et le géant paru s'humaniser, touché qu'elle se soit dérangée pour que sa fille ne prenne pas de retard. Nouveau coup de fouet et la mère disparut pour revenir très vite avec la fillette dans ses bras. La petite avait encore les joues bien rouges mais ne toussait plus. Rassurée Paulette lui dit qu'elle espérait la voir revenir très vite en classe. Puis elle prit congé de la famille. Les garçons n'avaient pas bougé de dessous la table. Ce n'est qu'une fois que Paulette fut remise en selle que le géant rentra chez lui. Ce jour-là Paulette avait eu l'impression d'avoir fait un bond dans une époque révolue depuis longtemps .